En lien avec le dernier article sur le modèle biopsychosocial, je prépare un prochain article sur les compétences psycho-sociales. On en a énormément parlé dans les média dernièrement avec les cours d’empathie qui seront éventuellement proposés à l’école et je souhaite revenir plus en détails sur les bases théoriques de ce concept.
Les compétences psycho-sociales, également appelées compétences émotionnelles ou compétences interpersonnelles, englobent un large éventail de capacités qui permettent aux individus de comprendre, gérer et interagir avec leur environnement social et émotionnel.
Dans le modèle de thérapie systémique on décrypte les situations et les difficultés rapportées par le patient non pas au niveau individuel (il a un problème ou un trouble mental) mais avec une grille de lecture interactionnelle : c’est-à-dire lorsqu’il est en relation avec les autres, lorsqu’il forme un système avec une ou plusieurs personnes.
Donc les compétences psycho-sociales jouent un rôle très important pour faire changer une interaction qui était dysfonctionnelle (du point de vue du patient et qui l’a amené à consulter) en une interaction satisfaisante. Un des objectifs de la psychothérapie sera d’apprendre à identifier et exprimer ses compétences psycho-sociales.
La thérapie cinématographique, également connue sous le nom de thérapie par le film, peut être un moyen de s’exercer à identifier les émotions pour mieux comprendre et interagir avec les autres.
Une récente publication, intitulée "Movies on the Couch: The MOVIE Model of Film Therapy" (1) présente des données scientifiques en psychologie (evidenced-based studies) pour améliorer la santé mentale des individus par l’utilisation du modèle MOVIE.
Dans cet article, nous examinerons le modèle MOVIE et je vous expliquerai comment cette approche peut être utilisée en psychothérapie comme un outil avec certains patients et comment, en tant que parents, on peut également s’en inspirer pour communiquer avec ses enfants et adolescents.
Comprendre le modèle MOVIE
Le modèle MOVIE est une approche de la thérapie cinématographique qui utilise des films comme outils pour faciliter la communication, l'introspection et la résolution des problèmes émotionnels. Cet acronyme décrit les cinq éléments clés du modèle :
M comme « mindfully engaged » ou ouverture à l'émotion : le psychothérapeute propose au patient de visionner un film donné et l’encourage à prêter attention à toutes les émotions ressenties pendant le visionnage du film (c’est-à-dire à regarder le film en pleine conscience). L’objectif de cet exercice à réaliser (ou tâche thérapeutique) est de favoriser la reconnaissance et l'acceptation des émotions.
O comme observer et nommer les réactions (émotions, pensées, sensations physiques) du patient sans jugement et avec curiosité. Le film sert de déclencheur pour explorer l’histoire personnelle du patient, ses souvenirs et sa mémoire.
V comme « voice » ou exprimer son ressenti après le visionnage. C’est le temps de la discussion et du débat sur le film entre le patient et le thérapeute. Cela peut être fait en relisant des notes prises pendant le visionnage, en dessinant ou peignant ou en énumérant les thèmes/problématiques abordés dans le film et que le patient souhaite évoqués.
I comme s’identifier avec un ou des personnages du film ou les situations filmées et faire le lien avec ses propres expériences. Cette identification renforce l'empathie envers soi-même et crée de l’espoir dans la résolution d’un problème.
E comme explorer les enseignements ou les leçons à tirer du film et rechercher des solutions concrètes à une ou des difficultés rencontrées par le patient.
Comment j’intègre le modèle MOVIE dans ma pratique clinique
En tant que thérapeute, la formation continue est déterminante pour nous permettre de rester informée et de se former à de nouveaux modèles, connaitre des troubles émergents ou répondre de façon adéquate à des nouvelles demandes.
Par conséquent, la revue de la littérature scientifique, mais aussi la lecture de livres spécialisés en psychologie et psychothérapie, la participation à des webinaires et colloques ainsi que le visionnage de films et séries font partie de mon quotidien.
Je vous ai d’ailleurs déjà proposé des revues de films et séries adressant la santé mentale (lien)
Voici mes 3 recommandations pour appliquer ce modèle en pratique clinique :
1. Sélectionner des films pertinents : il s’agit de proposer des films qui abordent des thèmes liés aux préoccupations émotionnelles du patient. Basé sur mon expérience en cabinet libéral mais aussi en institution et lors de mes interventions au collège, mais aussi grâce aux suggestions des patients, j’ai constitué une liste non exhaustive de films à proposer. La curiosité intellectuelle du thérapeute et sa sensibilité permettent d’enrichir cette liste avec des nouveaux thèmes ou des problématiques qui n’avaient pas été traité auparavant. Il ne s’agit pas de suggérer toujours les mêmes 3 ou 4 films à tous les patients de manière standardisée mais de tenir compte de l’histoire personnelle du patient (notamment des traumas éventuels), ses gouts et centres d’intérêt.
2. Choisir le bon timing au cours de la thérapie : ni trop tôt (au risque de ne pas avoir suffisamment d’informations sur le patient et que le film suggéré ne lui corresponde pas pouvant entacher la relation thérapeutique) ni trop tard (un changement dans la reconnaissance et l’expression de ses émotions a déjà opéré et il ne voit pas l’intérêt d’effectuer cet exercice).
3. Avoir vu ou revu le film sélectionné et avoir la capacité d’en discuter avec le patient. Ces discussions autour du film permettent de faire un lien avec des expériences similaires ou proches et d’apprendre à communiquer ouvertement sur les émotions. Le thérapeute peut donc être amené à partager quelques éléments un peu plus personnels de son histoire avec le patient surtout si celui-ci n’a pas l’habitude ou a des difficultés a parler de lui ou de sa vie.
Et en tant que parent, comment fait-on de la thérapie cinématographique à la maison ?
Voici mes 3 conseils :
- Plutôt que de proposer de visionner ensemble ou séparément un film aux adolescents, (ce qui pourrait être perçu comme une convocation pour une discussion ou un sermon ou une injonction à une séance ciné), intéressez-vous à leur gouts, a ce qu’ils regardent sur les plateformes de streaming. Regardez ensemble ou seul le film ou la série et vous serez plus à même d’en parler avec votre enfant ou adolescent lors d’une conversation ultérieurement. Il ou elle se sentira rejoint dans ses choix et ses gouts plutôt que vous lui ai imposé un film à regarder.
- Le timing : une fois le film ou la série visionné, vous pouvez faire référence à un personnage ou une situation du film sans pour autant convoquer un débat autour du film mais plutôt par petites touches/références, initier un dialogue sur ce qui lui a plu ou déplu.
- Enfin n’hésitez pas à partager vos difficultés émotionnelles et vos expériences en relation avec le film et ouvrez le dialogue en demandant à l’enfant ou l’adolescent ce qu’il a ressenti à tel moment du film, ce qu’il en a compris, ce qui l’a surpris etc…C’est en montrant l’exemple à nos enfants en partageant nos émotions qu’ils se sentiront en confiance pour en faire de même.
Pour conclure, le modèle MOVIE de la thérapie cinématographique offre une approche scientifiquement fondée pour améliorer la santé mentale en identifiant et travaillant sur les états émotionnels. Les preuves soutiennent l'efficacité de ce type de psychothérapie pour améliorer l'empathie, renforcer la communication et favoriser la résilience émotionnelle. Cette méthode peut également s'appliquer à la maison pour de meilleures interactions familiales
Références
(1) Hamilton, J. (2023). Movies on the couch: The MOVIE model of film therapy. Counselling and Psychotherapy Research, 00, 1–5. https://doi.org/10.1002/capr.12658
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