En tant que psychothérapeute, je suis le témoin privilégié de la complexité de l'esprit humain et dans ma pratique clinique, je m’appuie sur le modèle biopsychosocial pour appréhender l’être humain dans sa totalité et proposer une prise en charge globale des patients.
Dans cet article, je vous propose de revoir les prémices de ce modèle et d’explorer ses applications en psychothérapie.
Les origines
Le modèle biopsychosocial a été conceptualisé par le psychiatre américain George Engel dans les années 1970 et formalisé dans une publication datant de 1977 (1) . Il est né des limites de l'approche biomédicale traditionnelle, souvent centrée uniquement sur les facteurs biologiques des maladies et la nosographie (classification des maladies). Engel a plaidé en faveur d'une vision plus globale de la santé en considérant les aspects biologiques, psychologiques et sociaux sur un pied d’égalité, dans un système de causalités complexes, multiples et circulaires. C’est-à-dire que chaque composante (biologique, psychologique, sociale) influence les deux autres pour le maintien en bonne santé ou pour le développement d’une maladie.
Par exemple le développement cérébral, loin d’être entièrement déterminé par le programme génétique, est largement influencé par des facteurs relationnels, affectifs et environnementaux. Des phénomènes de sélection neuronale renforcent les circuits fortement stimulés et éliminent les circuits inutilisés ou redondants. Il a été démontré qu’une une privation affective précoce induit des perturbations sévères et irréversibles du développement cérébral, résultant en diverses altérations comportementales (2).
Voici les trois composants du modèle biopsychosocial
Les facteurs biologiques : Ce volet englobe les aspects physiologiques et génétiques de l'être humain. Il comprend la santé physique, les maladies, les traitements médicaux, la génétique et les facteurs environnementaux. Par exemple, la prédisposition génétique à la dépression est un facteur biologique connu et qui est important de prendre en compte dans la prise en charge. Aujourd’hui le traitement de référence pour certains types de dépression est l’alliance d’antidépresseurs et de la psychothérapie.
Les facteurs psychologiques : Les émotions, les pensées, les croyances, les expériences de vie (par le biais des comportements adoptés), et même les troubles mentaux diagnostiqués entrent en jeu pour établir un diagnostic ou prendre en charge un patient. Par exemple, la gestion du stress sera abordée selon ces trois différents axes : les symptômes invalidants par des médicaments si applicable (anxiété, insomnie, troubles cardiaques etc…), la régulation des émotions liées au stress par la psychothérapie et le contexte d’apparition des situations de stress par des changements d’environnement si applicable (changement de certaines conditions de travail …)
Les facteurs sociaux : Les influences sociales et environnementales sur la santé sont essentielles. Cela inclut le soutien social, la culture, le statut socio-économique, l'accès aux soins de santé et le réseau de relations/soutien.
Les applications
Le modèle biopsychosocial lorsqu’il est intégré dans une démarche clinique est un outil à la fois diagnostique et thérapeutique puissant et applicable à de nombreuses problématiques de santé.
Il nécessite donc une collaboration interdisciplinaire des différents professionnels de la santé autour du patient : médecins, psychothérapeutes, psychologues, travailleurs sociaux.
Selon moi, les deux caractéristiques essentielles de l’application de ce modèle en psychothérapie sont : un élargissement des perspectives et la participation active du patient.
- En ne nous contentons pas de traiter les symptômes exclusivement et en explorant également les facteurs psychologiques et sociaux qui contribuent à la souffrance des patients, nous leur permettons de se dégager d’un certain déterminisme ou fatalité face à la maladie ou la souffrance. La simultanéité des traitements proposés (tous les intervenants collaborent en même temps pour le bénéfice du patient et non pas le patient est dirigé chez le psy lorsque toutes les approches médicamenteuses ont été épuisé) permette au patient de prendre confiance, créer un espoir d’un mieux-être ou d’une guérison et lui permettront d’initier des changements plus rapidement.
- Ce modèle encourage la collaboration entre le thérapeute et le patient. Ensemble, nous explorons les aspects biologiques, psychologiques et sociaux de la situation, ce qui permet au patient de prendre des décisions éclairées sur le traitement et les stratégies d'adaptation les plus pertinentes pour lui. La prise de décision est écologique pour lui dans le sens qu’elle le responsabilise vis-à-vis de ses propres décisions tout en tenant compte de son environnement et de ses contraintes. Cette notion d’écologie rejoint l’approche systémique telle qu’envisagée par Gregory Bateson dans « Une écologie de l’esprit ».
En conclusion, le modèle biopsychosocial est le modèle médical le plus abouti dont nous disposons à ce jour. Une pratique clinique inspirée du modèle biopsychosocial intègre en permanence les perspectives biologique, psychologique et sociale et nécessite une participation active du patient, dont le corollaire est une importance accrue des aspects éducationnels. La relation thérapeutique est donc profondément modifiée et tend vers une alliance thérapeutique
Références
1. Engel, G. (1977). "The Need for a New Medical Model: A Challenge for Biomedicine." Science, 196(4286), 129-136.
2. Joseph R. Environmental influences on neural plasticity, the limbic system, emotional development and attachment: A review. Child Psychiatry Hum Dev 1999; 29:189-208.
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