En avançant en âge, les individus tentent de faire face à l’emprise institutionnelle, aux normes et aux valeurs qui l’animent, à l’avènement de la maladie et/ou à la disqualification sociale qui leur est infligée, en développant de la résistance visant à sauvegarder leur sentiment d’identité et leur autonomie.
L’application du concept de déprise-reprise lors de l’accompagnement du patient/résident lors de son institutionnalisation permet donc à celui-ci de garder un certain contrôle sur la dernière partie de sa vie et lui permette de faire face aux difficultés d’adaptation rencontrées grâce à ces résistances négociées. C’est pourquoi je souhaite définir un deuxième facteur de résistance au changement qu’est le désengagement avec pertes de la personne âgée et vous exposer comment le concept de déprise peut-être plus pertinent que celui de désengagement et explorer ses applications possibles dans le cadre d’un accompagnement systémique et stratégique.
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Le concept de déprise a émergé à la fin des années quatre-vingt pour faire contrepoids à deux grandes théories en gérontologie sociale : celle de l’activité (Havighurst et Albrecht, 1953) et la théorie du désengagement de Cumming et Henry (1961).
Cette dernière stipulait qu'il est normal dans le processus du vieillissement qu'il y ait diminution pour les personnes âgées du nombre d'activités, de rôles sociaux et de liens affectifs. Contrairement à cela, la déprise, telle que proposée par Clément et Mantovanni (1999) est définie comme « un processus de réaménagement de la vie » et elle se caractérise par le choix des investissements qui sont maintenus et ceux qui sont abandonnés par la personne âgée en tenant compte de ses capacités individuelles, des relations interpersonnelles, de son parcours de vie antérieur et du contexte socio-culturel.
Ainsi la déprise est un processus actif et une stratégie de réorganisation et d'adaptation. Il s’agit plus d’une logique de remplacement que d’abandon ou de perte. Ce processus de transformation se fait donc en deux temps et dans une logique de sélection et de substitution : dé-prise face à certains engagements et par la suite nouvelles prises ou même re-prise de certaines activités. Ce phénomène n'est pas linéaire, mais se fait davantage par paliers et selon les événements.
Ce concept lorsqu’il est pensé et appliqué par la personne âgée elle-même dans le cas d’une institutionnalisation nous parait donc être cohérent avec les principes de l’approche psychothérapeutique systémique car il est dynamique : le patient/résident est acteur du processus de déprise-reprise et il est également interactionnel car il prend en compte les relations du patient/résident avec soi-même, avec les autres et avec le monde.
En utilisant l’approche stratégique de la thérapie familiale avec des patients/résidents, le thérapeute peut donc introduire le concept de déprise plutôt que de rester dans la définition du problème comme une perte. Cela permet tout d’abord un recadrage du problème (les difficultés d’adaptation à l’institution du patient/résident) en contrebalançant une représentation très souvent déficitaire de la vieillesse.
Ce recadrage permet également de se rapprocher de l’approche constructiviste de la thérapie systémique où intervient une nouvelle co-construction d’une nouvelle réalité du patient/résident avec le thérapeute. Cette approche de la psychothérapie permettra ainsi de modifier la construction du monde du patient/résident qui le fait souffrir en une nouvelle construction fonctionnelle.
Enfin ces choix ou négociations du vieillir s’accomplissent en lien avec les autres participants d’un système donné (famille, équipe soignante, autres patients/résidents) démontrant bien le lien interactionnel entre le patient/résident et son environnement formant un système pouvant être fonctionnel ou dysfonctionnel.